Julie Verhague

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Ajouté le 16 nov. 2022

Poeme de Christian Bobin - Autoportrait au radiateur


J’ai rendez-vous chaque matin avec la beauté du monde. La beauté du monde est assise en face de moi. La beauté du monde change de chaise chaque jour. La beauté du monde, à mon réveil, s’appuyait, rêveuse, sur le portail blanc d’une maison de l’autre côté de la rue.  Hier la beauté du monde était assise en tailleur sur les fleurs que je venais d’acheter, des roses d’un blanc crémeux. La beauté du monde est discrète, connaît la splendeur de l’humilité. La beauté du monde sait se rendre invisible et passer incognito sur les ailes de Mozart ou dans les cavalcades de Bach. La beauté du monde ne dédaigne pas non plus le jazz. La beauté du monde est belle de ne rien dédaigner. Tout lui est refuge, temple, scène.  La beauté du monde a posé ses mains de neige sur mes épaules. Elle m’a regardé droit dans les yeux, m’a dit : toi, tu devrais faire comme moi, longtemps dormir, longtemps mourir, une cure d’absence et de silence, regarde comme ça me va bien.

Et la beauté du monde s’est mise à danser sur le bureau – une danse maladroite, adorable. J’ai  souri.  Je me suis préparé une troisième tasse de café, les deux premières ne comptent pas, les deux premières ne comptent jamais.  La beauté du monde s’est assise au bord de la tasse, m’a dit : devine d’où vient ma fraîcheur. Je ne sais pas, lui ai-je répondu, écarte-toi un peu, je ne veux pas t’avaler avec mon café. La beauté du monde a éclaté de rire, a fait le tour de l’appartement, mis son nez dans mes carnets, ramassé un pull qui avait glissé d’un fauteuil, s’est penchée à la fenêtre, s’est retournée en criant : ma fraîcheur, tu sais, c’est parce que je désespère et  que j’espère dans le même temps, à chaque seconde, ça me va bien au teint, tu ne trouves pas ? Puis la beauté du monde est partie dans toutes les directions à la fois et je suis allé me préparer une quatrième tasse de café.

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